La maison de Ferdinand Pinney Earle


C'est à Ascain, à proximité du pont romain - lequel n'est d'ailleurs qu'un édifice médiéval -, que l'on trouve le lieu-dit Muga, regroupé autour du bucolique chemin de halage bordant la Nivelle où Churchill, aquarelliste à ses heures, ne dédaigna pas planter son chevalet ...

 

 

Peut-être parce que la Nivelle évoque pour tout Anglais la fameuse bataille qui opposa Wellington à Soult en 1813, bataille durant laquelle le pont joua un rôle stratégique, l'une de ses arches ayant été détruite par les forces napoléoniennes afin d'interdire le passage de l'artillerie anglaise... Là, derrière les arbres, juste en face du pont, se cache une bien curieuse construction, la maison de Ferdinand Pinney Earle.

 

De celle-ci, on peut vraiment dire qu'elle échappe à toutes les classifications ; une esquisse succincte brosserait un parc de massifs roses aux contours irréguliers, surmontés de tourelles évoquant le minaret d'opérette.

 

De loin, l'ensemble pourrait tout aussi bien évoquer les constructions en pisé ocre du Sud marocain... L'aspect excentrique de cet édifice, qui lui a valu longtemps le sobriquet peu généreux d'Eroen Etxea (La Maison des fous), puise sans doute sa genèse dans la personnalité atypique il faut bien l'avouer, de son concepteur, le décorateur de cinéma Ferdinand Pinney Fade (1878-1951).

 

Frère du réalisateur William P.S. Earle, il effectue une carrière de décorateur de cinéma : il assoit sa renommée dans les années 1910 et 1920, en travaillant notamment sur des films à succès comme Papa longues jambes (1919) dont la vedette est Mary Pickford, la star adulée surnommée à l'époque « La petite fiancée de l'Amérique ».

 

En 1930, abordant la cinquantaine et sans doute las de la superficialité d'Hollywood, il décide de s'installer à Ascain : le choix de cette commune peut s'expliquer par le fait qu'il a épousé en secondes noces Denise, elle-même d'origine belgo-basquaise. Il y fait construire cette étrange maison, très inspirée des bâtisses en adobe représentatives du style Pueblo que l'on trouvait vers Santa-Fé dans les années 1910.

 

Curieusement, sa forme « organique » si singulière rappelle aussi celle des édifices qui peuplent l'immense panorama réalisé par Earle pour le film Gogotha de Julien Duvivier sorti en 1935, qui figure une vue idéalisée de l'antique Jérusalem.

 

Mais si ce style est déjà fort utilisé à l'époque dans le sud-ouest des États-Unis, on se doute qu'il a pu paraître des plus décalés en terre basque ! La maison fait donc sensation et elle est bien vite l'objet des quolibets.

Elle alimente aussi de nombreuses légendes, certains n'hésitant pas à affirmer qu'elle est hantée! De fait, sa création résulterait d'une sorte de pari passé entre Frank Lloyd Wright et Ferdinand Pinney Earle, comme l'atteste une lettre émanant du baron Daufresne de la Chevalerie, le cousin de Denise qui avait rencontré Wright à Tokyo à l'occasion d'un dîner à l'ambassade des États-Unis, alors qu'il était lui-même en poste à l'ambassade de Belgique.

 

Le célèbre architecte aurait prétendu « en avoir conçu le projet avec Earle, au cours de leur longue et amicale collaboration dans des projets pour Cecil B. de Mille et Walt Disney ». L'historien Maurice Culot nous suggère quant à lui la piste de William Cameron Menzies, un autre décorateur d'Hollywood, ayant à son actif la direction artistique du Voleur de Bagdad (1924) et d'Autant en emporte le vent (1939).

 

Lorsque après nous en être approchés, nous prenons la peine d'en faire lentement le tour, comme pour l'apprivoiser, cette maison se révèle des plus attachantes. Son plan devient tout à coup lisible un schéma en revolver.

 

La crosse, axée nord-sud, contient l'ensemble des pièces de service, le canon, plus vaste, disposé perpendiculairement selon l'axe est-ouest, renferme les espaces de réception ainsi qu'une grande chambre bloquée à l'extrémité est.

 

Une tour - la plus haute, celle qui évoque tant le minaret - assure à l'intersection la jonction des deux branches : elle assumait initialement la double fonction de château d'eau et de cheminée.

 

 

la maison de ferdinand pinney earle à ascain (2015). Dans Jardins & Intérieurs du Pays Basque.

   

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