Le cimetière, jardin de pierres


On retrouve l'usage funéraire de la pierre dans une autre spécificité des Basques, souvent notée par les voyageurs, mais dont toute la dimension culturelle et la profondeur symbolique n'a que rarement été saisie. 

 

Je veux évidemment parler des stèles discoïdales qui donnent tant d'originalité pour ne pas dire de cachet aux cimetières de ce pays.

 

Naturellement, cette remarque ne vaut que dans la mesure où la fâcheuse mode des caveaux en marbre n'a pas complètement submergé les abords de ces églises, par ailleurs très souvent préservées. Là, le dimanche, en sortant de la messe (ou un autre jour après avoir laissé passer une averse comme il en survient parfois au Pays Basque), il est aisé de remarquer que, contrairement aux champs de croix des cimetières traditionnels, ce qui domine, c'est un autre symbole, plus ancien assurément et dont l'archaïsme mérite quelques explications.

 

Au Pays Basque, le culte des morts relève d'une tradition bien antérieure à la christianisation.

Avec elle, l'usage du matériau abondant en ces confins pyrénéens qu'est la pierre.

 

Celle-ci a été systématiquement employée, que ce soit pour réaliser des dalles gravées ou des stèles discoïdales. Une dalle signalait la tombe familiale et, quand elle était dans l'église, elle marquait aussi la place de la maîtresse de l'etxe, la « maison ».

 

Lors des offices religieux, elle s'y tenait et ses filles avec elle. Les hommes, comme c'est la tradition, se regroupaient ailleurs, en particulier dans ces galeries de bois visibles aussi bien dans l'église Saint-Jean-Baptiste de Saint-Jean-de-Luz qu'à Arbonne ou à Espelette.

 

En ce sens, cette pierre est comme une continuité de l'espace familial.

Avec la croissance démographique, qui comme ailleurs en Europe fait grossir les villages à partir des XVIe et XVIIe siècles, la place vient à manquer.

 

Il faut d'ailleurs aussi noter que la progressive prise de conscience des défauts d'hygiène qu'implique une sépulture à l'intérieur de l'église a partout entraîné le développement de cimetières extérieurs. Pourtant, le carré où sont enterrés les morts de la maison apparaît toujours comme une extension de l'espace privé.

 

On y érige une stèle, on y plante des fleurs, on s'y retrouve régulièrement pour honorer ses morts et plus simplement pour bavarder. D'ailleurs, un banc, de pierre lui aussi, permet aux vivants de s'installer commodément et d'échanger entre eux, mais aussi avec les défunts. C'est le paradoxe de ces cimetières basques, véritables jardins de pierres tout à la fois lieux de silence, de recueillement et lieux sociaux, où la conversation est possible parfois par-dessus le mur de clôture, propice car peu élevé.

 

Dans ce cimetière, les stèles sont bien sûr l'élément le plus remarquable.

Érigées sur une pelouse rase, avec ou sans dalle, elles sont normalement toutes orientées. Au sens propre, c'est-à-dire tournées vers l'est.

 

 

Les cimetières sont pour cette raison d'apparence ordonnée, les stèles alignées sans exception. Le défunt regarde le soleil levant, promesse de résurrection et/ou d'au-delà. La pierre qui est sculptée en champlevé, autrement dit en creusant sa surface plane pour y faire apparaître un motif, confirme son statut de lien cosmique.

 

Peu lisible au soleil de midi, qui ne rend pas justice à l'artisan qui l'a sculptée, elle s'anime à la lumière rasante de l'aube, qui semble lui donner vie aux yeux du passant ou du parent attentif. Ce soleil éternel, c'est celui du disque où s'enchâsse la croix basque.

 

le cimetière, jardin de pierres (2018). Dans pays basque une terre, l’océan et des hommes .

 

Nagusia, marque de vêtements basques.