Le Travail de Nuit


Vivre près d'une frontière comporte bien des désagréments. Que les rois se disputent et on est envahi, pillé, incendié. Cela a été le lot des Basques au sud comme au nord des Pyrénées.

 

De Charlemagne, qui abat les remparts de Pampelune, jusqu'aux Espagnols, qui incendient le château d'Urtubie à Urrugne entre Saint-Jean-de-Luz et la Bidassoa, les Basques ont eu bien des raisons de maudire cette ligne imaginaire fixée définitivement lors du traité des Pyrénées.

 

Pourtant, il y a un avantage certain à la proximité de l'Espagne : les prix y ont longtemps été bien plus bas et par les sentiers une activité appelé gau lana (le « travail de nuit ») a mis en œuvre des cargaisons énormes de cigarettes, d'alcool ou de saucissons.

Elles ont franchi hors taxes la frontière, comme une préfiguration du marché commun !

 

Il ne faut pas croire que le transit ne se faisait que dans une direction. Souvent des troupeaux entiers allaient engraisser en Espagne où le fourrage était moins cher !

Tromper le douanier a donc été un sport national dont on ne vit aujourd'hui qu'un ersatz en se rendant aux ventas du col d'Ibardin ou de Dancharia.

Le village emblématique de ce travail de nuit, c'est Sare et ses 32 kilomètres de frontière avec la Navarre. Le Ramuntcho de Pierre Loti a porté loin l'image du jeune et beau Basque qui court la montagne. Pierre Loti, malgré des descriptions parfois folkloriques, a puisé aux meilleures sources en louant pendant 30 ans une maison dans ce village (Etchezar dans le roman).


Au-delà de la légende, les contrebandiers basques ont aussi utilisé leurs connaissances de la moindre crête en devenant pendant la Seconde Guerre mondiale des passeurs. Combien de juifs, de réfractaires du service du travail obligatoire (STO) ou de pilotes alliés ont utilisé leur compétence?

Le réseau Comète a permis, à partir de 1941, à 287 militaires alliés de rejoindre l'Angleterre par les pays neutres de la péninsule ibérique.

Certains Basques l'ont payé de leur vie.

À Urrugne, on se souvient encore de Frantxa Uzandisaga dont la maison, Bidegain Berri, fut un relais avant le dangereux passage. Arrêtée devant ses enfants avec quatre aviateurs anglais, elle fut déportée à Ravensbrück. Elle est morte en avril 1945 sans les revoir ; ni revoir la Rhune.

Mon propre grand-père s'était évadé avec deux copains basques de la ferme allemande où il était retenu en captivité. Sorti clandestinement du Reich dans une incroyable odyssée, il a bénéficié de ces complicités transfrontalières pour se cacher. Il faut dire que l'on est basque des deux côtés...

 

le travail de nuit  (2018). Dans pays basque une terre, l’océan et des hommes .

 

Nagusia, marque de vêtements basques.