En quittant Saint-Jean-de-Luz vers Hendaye et l'Espagne, il faut absolument prendre la route de la Corniche.
Outre le fait qu'elle permettra un dernier regard pour embrasser la baie en passant à Socoa, elle vous mènera en Irlande. Il ne s'agit pas d'une faille spatio-temporelle qui s'est ouverte sous vos pieds.
Si vous atteignez, juste avant les Deux-Jumeaux, célèbres rochers au nord de la plage d'Hendaye, le château d'Abbadia, vous comprendrez l'allusion et votre possible méprise. Là, posé sur une lande battue par le vent du large, se dresse un manoir qui mérite tous les détours.
De l'extérieur il apparaît comme le fantasme un peu fou d'un architecte enfiévré.
De fait, un examen plus approfondi permet vite de déceler la patte de Viollet-le-Duc. Il a été chargé de respecter un désir : une demeure qui exprimerait la vie de son commanditaire.
Antoine d'Abbadie a une vie impossible à résumer en quelques lignes. On peut d'ailleurs affirmer que la meilleure biographie de cet homme d'exception est là, de pierres bâties, sur ce coin du vieux pays. Une biographie en dur, voilà qui n'est pas à la portée du premier venu !
Sans doute est-ce d'ailleurs la meilleure façon d'approcher un type de personnage que le XIXe siècle français a, avec une belle prodigalité, donné généreusement au monde. Car cet homme est un concentré de son temps. Il est né en Irlande d'un père noble souletin émigré au temps de la Révolution. Il appartenait à une longue lignée d'abbés laïques d'Arrast, dans le canton de Mauléon, pedigree peu enviable quand arrive la Grande Peur et la Monte-à-regret (la guillotine).
Les abbayes laïques sont d'ailleurs une des originalités pyrénéennes (centrée sur le Béarn avec débordements sur la Bigorre et la Soule basque).
Le titulaire bénéficiait de privilèges et pouvait par cette fonction accéder à la noblesse.
Vivant dans une demeure accolée à l'église, il considérait celle-ci comme sienne, en percevait les revenus en patronnant le curé et, faveur recherchée, y était enterré. Cette proximité s'est traduite dans le nom de certaines familles (du latin abbatia, « abbaye ») : les Abadie, Labadie, Dabadie, Badie, Labat, Aphatie qui remplissent les annuaires témoignent de leur nombre et de leur longue descendance.
Antoine d'Abbadie revient en France à l'âge de 10 ans mais ce n'est que pour mieux repartir courir le monde. Alors que la vitesse moyenne d'un voyageur n'excède pas quelques kilomètres/heure, il explore l'Afrique (l'Égypte, l'Éthiopie, l'Algérie), le Proche-Orient (dont Jérusalem), la Scandinavie, les Caraïbes, le Brésil. On croirait un héros de Jules Verne et de fait comment le qualifier : géographe? Scientifique? Astronome? Ethnologue ? Linguiste? Géologue?
Sans doute le plus simple est-il d'évoquer un esprit curieux du vaste monde et qui souhaite un manoir à l'image de l'incroyable diversité de ses expériences.
un rébus à l'échelle d'un château (2018). Dans pays basque une terre, l’océan et des hommes .